Chai pas

Je ne sais pas ce que je pense de cette affiche. Je ne sais pas ce que je pense actuellement.
Je ne sais pas. Chai pas.

Rien de plus quotidien qu’un « je ne sais pas », mais quelle déroute pour non francophone d’entendre « chai pas » ou pour un Français de voir écrit en toutes lettres et en grand la contraction de cette locution. En toute honnêteté et avec simplicité, Achim Reichert nous surprend. Selon lui, ne pas comprendre immédiatement une affiche déclenche une mise à distance qui motive un discernement critique. Face à cette expression orale, populaire, un sentiment d’étrangeté et une réaction d’appropriation s’activent. « Je ne sais pas » devient le message personnel de la lectrice, du lecteur.

Achim Reichert explique ses choix avec des mots précis. Pour cette commande, il souhaitait évoquer notre tendance à surestimer la valeur objective des mots. Il remet régulièrement en cause notre crédulité ou notre fascination vis-à-vis d’une communication prétendue claire alors que l’usage des mots est manipulateur et égoïste. Achim Reichert questionne cette boîte à outils qu’est la langue en tant que créateur de fontes, et ce, d’une manière inhabituelle. Il aime dessiner dans une optique libératrice.
Pour caractère, le Randone, il ne gomme pas la rencontre des lignes, il n’enjolive pas. Ses différents travaux témoignent d’une volonté d’explorer quelque chose de différent, et ainsi d’acter : quelque chose de différent est possible. Cette expression de la liberté se lit et se partage.
Investi dans une pratique du design social, Achim Reichert en fait preuve par le message écrit et par le processus créatif. Ce dernier, comme la forme, est un espace émancipateur. Directes, sommaires et quelque peu dérangeantes, ses compositions, à la limite de la performance,
questionnent nos zones d’insécurité.
Je ne sais pas quel est le bon message, mais vous, peut-être, autorisez-vous à formuler des messages.
Ses compositions s’apparentent à des panneaux de signalétique : ici, un rouge attention (avec une tonalité sanglante) sur un bleu profond (couleur, en France, des plaques de rue émaillées). Ces signes de régulation pour le bon fonctionnement d’une société ne déclenchent pas des réflexes automatiques de conduite ou de lecture, ils perturbent nos habitudes. Achim Reichert nous oriente avec des signes bruts et brouillés, provisoires et pertinents.