Être né quelque part

Une odyssée. L’affiche d’Eddy Terki donne le vertige.

Dans un duo de bleus, elle nous confronte à des infinis : les abysses océaniques ? Les spirales de la Voie lactée ? De loin, des courbes de couleur chrome nous entraînent dans des mouvements sinueux qui pourraient s’apparenter à des tracés calligraphiques ou à des volutes nuageuses mues par des vents forts. De près, Eddy Terki nous permet ou nous oblige à lire des récits, des fragments de trajectoire.
Il faut s’approcher pour rencontrer ces brides de vie. Avec cette image, le graphiste questionne la transmission des mots et de la langue au sein d’une famille à travers différentes générations. Comment, entre grands-parents, enfants, petits-enfants, le patrimoine linguistique circule-t-il ? Comment s’articule-t-il avec le vécu et le ressenti de chacun ? Franco-Algérien, Eddy Terki investit passionnément les liens que tissent les écritures et il cherche à ce que les corps en fassent l’expérience dans l’espace public.
Pour cette affiche sans territoire fixe et face à l’immensité des destinées familiales, Eddy Terki nous plonge dans la particularité de chaque vie. Il a lancé un appel public à témoignages pour recueillir des paroles et savoir comment chacun vit la transmission de la langue et parfois le plurilinguisme dans sa famille. Il recopie au stylo certains propos et les assemble dans un système de courbes, attestant que le rapport à la transmission n’est jamais une ligne droite. Pour en appuyer l’ondulation et la profondeur, il a opéré de nombreux allers-retours entre l’inscription manuscrite et la transposition numérique. Cet ensemble de rivières de mots, il les fait tourner autour de trois phrases, écrites à la craie grasse, tirées de la chanson Être né quelque part de Maxime Le Forestier (1987). La chanson, traduite en de multiples langues, parle notamment de déplacements, de la difficulté de se construire une identité, de souffrances. Les chansons permettent de partager indirectement des expériences vécues indicibles.
Au-delà des récits des familles dont une génération a dû quitter son pays de naissance et a été confrontée au droit du sol, ces odyssées touchent chacun de nous, nos écueils et nos espoirs de rivages accueillants. Cette affiche, pour être comprise, nous invite à déplacer nos corps,
à perdre nos repères.