Nos amitiés

« Saint-Just avait raison, l’amitié a une force révolutionnaire […] L’amitié est politique, elle nous donne envie d’inventer d’autres modes de vie ; elle ne nous rend pas dociles. »
Cette pensée d’Hélène Giannecchini, lue dans son nouvel essai, Un désir démesuré d’amitié (2024), a convaincu Isabelle Jégo de traiter de la puissance de l’amitié. La graphiste traduit l’idée de démesure par une comète tourbillonnante qui peut tout transformer sur son passage,
une boule d’énergies crépitant sur fond étoilé ou sur fond ténébreux. Nos amitiés construisent et illuminent nos mondes. Elles sont politiques. En écho aux alertes féministes qui, dès les années 1970, énonçaient que « le privé est politique », nos amitiés ne sont pas innocentes, elles sont déterminées par un contexte et déterminantes par les actions qu’elles entraînent.
L’astre flamboyant, explosif, est accompagné par une composition typographique poétique. Sans majuscule ou ponctuation, un léger décalage entre certaines lettres donne à ce credo une portée musicale. Détachée d’un poids conventionnel ou de la vacuité d’un slogan, cette pensée continue de résonner en nous et avec elle des réflexions que l’on ne formule pas assez : on hérite d’amitiés, elles nous bouleversent et nous façonnent. Indomptables, des amitiés tissent des sororités et des fraternités joyeuses. À l’heure où les réseaux sociaux questionnent la profondeur ou le réel de nos amitiés, cette image porte l’attention sur la réalité « révolutionnaire » de l’amitié. Entre celles que nous activons et celles qui nous relient à notre passé, nos amitiés participent à forger notre émancipation intellectuelle. Elles consolident des collectifs.
Habituellement, les affiches relatives à l’amitié sont empreintes de symboliques stéréotypées et mièvres, l’amitié est rarement célébrée comme une valeur d’intérêt général.

Graphiste et enseignante à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, Isabelle Jégo pense ses images dans une vertu pédagogique. Si l’on ne mesure jamais les graines que l’on sème, chacune d’elles, même éparse, demande à être travaillée scrupuleusement. Un cours, un atelier pédagogique, une affiche sont des temps et des croisements d’engagements. Des aventures politiques réciproques. S’il faut le vivre modestement, il faut y travailler opiniâtrement.