Rêver

Dans un, vingt, cent ans, quand une personne fixera cette affiche sur son mur, elle y projettera son monde, ses aspirations intimes autour du mot rêver. Cette personne ne connaîtra pas précisément le contexte dans lequel cette image a été conçue : sans aucun doute, elle
subira elle-même un poids nocif de crises menaçant les démocraties. Une affiche fait voyager son message au-delà de son ancrage temporel. Elle harponne au-delà des mers.
Cette image peut être lue aujourd’hui comme un appel à la déconnexion et propose des actions simples : rêver, méditer, imaginer l’avenir, continuer à avoir des envies, désirer.
La composition de l’Atelier Tout va bien nous plonge dans un état proche de celui du rêve, un état particulier où les frontières spatio-temporelles s’effritent. Une intervention patiente, manuelle, sur la trame génère ce paysage, hypnotique et instable. Par des effets sur les dégradés, nous sommes dans un entre-deux, entre une apparition et une disparition. Ce camaïeu orangé-rose se contemple comme un coucher de soleil, ce moment fascinant, encore flamboyant où vient se cristalliser le verbe rêver. À l’infinitif, monumentalisé, le verbe occupe seul
la double page d’un livre ouvert. Le verbe a tout aspiré. L’emploi d’un caractère typographique à empattement situe le lecteur dans la fiction littéraire. Cette image invite à la lecture, celle du soir, celle qui nous entraîne dans le sommeil. Elle est aussi une mise en abîme : l’atelier
dijonnais conçoit des livres et des affiches, met en forme des contenus informatifs. Entre les lignes, dans le soin patient que ses graphistes apportent au moindre objet, ils développent notre attention et notre rapport au monde. Un objet graphique, investi et pensé, peut-être
un catalyseur relationnel. Anna Chevance et Mathias Reynoird sont soucieux de penser des formes responsables. C’est un travail quotidien, aussi utile et ineffable qu’un coucher de soleil.
Le caractère méticuleux et normé du design graphique est suggéré ici par l’axe de symétrie vertical et l’usage du palindrome, « REVER ». Dans le pli du livre, le V est un lien stable entre deux mondes. Faussement évidente, l’affiche enchevêtre différents sens d’interprétation, tout en étant particulièrement sensible, voire sensuelle. Le mot, massif, pris dans sa double lecture, s’incarne dans une texture insaisissable, vaporeuse. Nous sommes pris dans cette image prégnante à l’atmosphère chaleureuse, sableuse, où tout semble glisser – aucun rêve hégémonique ne peut s’imposer.