Le Jugement de Pâris, d’après Claude Gellée dit Le Lorrain

Depuis des années, Diego Movilla s’approprie des images appartenant au déferlement iconographique de notre époque ou à l’histoire pluriséculaire
de la peinture, qu’il regarde avec ironie, avec férocité ou avec mélancolie : ses « Paysages dégommés » sont ainsi, comme leur nom l’indique,
des peintures auxquelles il impose l’effacement – le sujet de son travail, dit-il. Son projet n’est toutefois pas iconoclaste et s’inscrirait, s’il fallait
le préciser, plutôt dans la tradition de la reprise destructrice/constructrice des Ménines, de Diego Velázquez, par Pablo Picasso que dans celle
d’un iconoclasme duchampien.
Sa sérigraphie revisite le célèbre Jugement de Pâris (1645-1646) de Claude Gellée, dit Le Lorrain, qui se trouve aujourd’hui à la National Gallery of Art, de Washington. Diego Movilla utilise toutes les ressources de la technique : un fond en dégradé de pourpre réalisé à la main, qui évoque
un crépuscule d’apocalypse, une trame fine qui reproduit fidèlement l’image du Lorrain, la trace de l’intervention presque sauvage du racloir
sur l’esquisse peinte à l’huile, qui dissipe le motif principal avant qu’il ait eu le temps de sécher.

Dans l’expression « les temps changent », Diego Movilla entend deux constats. Les mentalités évoluent : la compétition entre Héra, Athéna et Aphrodite n’a plus lieu d’être, les concours de beauté ont vécu, #MeToo est passé par là et Pâris se retrouve seul avec sa pomme d’or… Le temps
change : le bel ordonnancement du paysage classique du Lorrain, où la scène biblique ou mythologique est souvent un prétexte à la représentation
du paysage qui l’abrite, a cédé sous les nuages toxiques et le réchauffement climatique. L’image de ce paysage abîmé semble se décomposer mais,
comme l’écrit Diego Movilla, peut s’offrir également « comme un terrain d’exploration à la recherche de nouvelles relations à l’environnement ».