Le Baiser

Le graveur électrique

Yujiro Otsuki fonctionne comme un paratonnerre. Il braque vers le ciel ses multiples antennes à la recherche de volts baladeurs, des rayons cosmiques, des orages. A la manière  des recherches d’or de jadis, passant au tamis le sable des  rivières pour trouver leurs pépites, il drague l’éther afin d’y puiser son énergie, son inspiration. Lorsqu’il a capté un flux électrique. il le retranscrit å la vitesse de l’éclair sur n’importe quel support, que celui-ci soit conducteur  comme la plaque de cuivre, ou non-conducteur comme le bois ou le caoutchouc, De fantastiques quantités d’énergie s’y engouffrent, crépitantes et fumantes. La lumière devient encre, l’éclair se métamorphose en signe. I l ne faudrait pas croire que notre atmosphère soit vide parce que les Dieux  l’ont désertée.  Elle est remplie d’étincelles, de mots et d’images en transit, de cris, de bruits et de fureur, de souvenirs, de microbes et de gaz toxiques. Certains prétendent que l’air est pollué, ils disent que nous respirons les miasmes de nos ordures. Mais la plus désolante décharge publique constitue, pour ceux qui savent voir et qui ont la patience de chercher, une mine de trésors. Yujiro est un récupérateur de bribes, un collectionneur de miettes, un inventeur d’épave. Ses gravures dressent le bilan des richesses du ciel. On y voit des tourbillons de lettres brassées par des courants impalpables, et des cigarettes emportées par les vents stellaires. On y voit autre chose aussi. Regardez bien. Qu’apercevez-vous, entre les lignes ?  La poussière du Temps.

Roland Topor

Paris.  avril  1986